
L'homme qui réussit est celui qui voit plus loin que ses voisins, mais pas plus loin qu'ils ne seront capables de voir eux-mêmes, le jour où on le leur apprendra, et pas assez loin pour les inquiéter. Il vaut beaucoup mieux ne pas savoir assez que de savoir trop. Les gens désapprouvent le "pas assez" mais ils se fâchent si on leur demande de se lancer à la suite du "trop".
J'imagine qu'il y a quelque chose de vrai dans l'opinion qui commence à se répandre aujourd'hui, selon laquelle ce sont nos pensées les moins conscientes et nos moins conscientes actions qui contribuent surtout à façonner notre vie et la vie de ceux qui sortent de nous.
Tennyson a dit que la prière accomplit plus de choses que le monde ne se l'imagine ; mais il a sagement évité de dire si ce sont de bonnes ou de mauvaises choses. Il vaudrait peut-être mieux que le monde pût imaginer, ou même pût voir de ses yeux enfin ouverts, quelques-unes des choses que la prière accomplit.
Dans le tréfonds de son cœur il pensait avec Pope que "le plus grand fléau de l'humanité, c'est l'homme".
Longtemps même avant son mariage elle avait étudié ses petites manies, et savait donner du combustible au feu tant qu'il paraissait en avoir besoin, et ensuite verser dessus juste ce qu'il fallait d'eau, en faisant le moins de fumée possible.
D'ailleurs il avait pris sur lui, depuis tant d'années, de dire ce qu'il n'aurait pas dû dire, et de ne pas dire ce qu'il aurait dû dire, qu'il n'y avait guère de chances pour qu'il vît aucune chose qu'il lui parût plus convenable de ne pas voir, à moins qu'on lui mît le nez dessus.
"Mes chers amis, petite est la porte et étroite est la voie qui conduit à la Vie Éternelle, et il y en a peu qui la trouvent. Peu, bien peu, car celui qui ne veut pas TOUT donner pour l'amour du Christ n'a rien donné du tout".
Parmi les mauvaises pièces qu'on lui avait passées et qu'il gardait pour les menues dépenses du moment, il y avait cette idée : que les pauvres sont bien plus aimables que les gens riches et bien élevés.
Il ne lui restait plus rien à perdre. Argent, amis, réputation, tout s'était retiré de lui pour longtemps, et peut-être pour toujours. Mais il y avait quelque chose d'autre aussi qui était parti en même temps que ces biens : la peur de ce que les hommes pourraient faire contre lui. Cantabit vacuus. Qui pourrait lui faire plus de mal qu'il n'en avait déjà éprouvé? Qu'il pût seulement gagner son pain, et il n'y avait rien qu'il n'osât entreprendre pour faire du monde un lieu meilleur pour ceux qui étaient jeunes et dignes d'être aimés. Cette pensée le réconfortait si bien qu'il aurait presque souhaité d'avoir perdu plus complètement encore sa réputation : car il s'apercevait que notre réputation est comme notre vie, et que celui qui la perd peut la trouver et celui qui voudrait la trouver la perd.
- Vous comprenez, Ellen : quand j'étais enfant on m'a fait étudier des choses qui ne devaient m'être utiles à rien, et on ne m'a jamais permis d'essayer d'apprendre celles qui m'auraient mis à même de me tirer d'affaire.
- Qu'est-ce que cela peut me faire à moi, me dit-il, que les gens lisent ou ne lisent pas mes livres? C'est leur affaire à eux. Mais pour ma part, j'ai trop d'argent pour désirer en gagner et si mes livres valent quelque chose ils finiront bien par sortir. Mais valent-ils quelque chose? je n'en sais rien, et cela m'est assez indifférent. Quelle opinion un homme raisonnable peut-il se faire sur ses propres ouvrages? Il faut bien qu'il y ait des gens qui écrivent des livres stupides, de même qu'il faut bien qu'il y ait des candidats reçus derniers dans les concours : pourquoi me plaindrais-je d'être parmi les médiocres? C'est déjà quelque chose que ne n'être pas au-dessous de la médiocrité! Du reste mes livres seront bien obligés, un jour ou l'autre, de faire leur chemin tout seuls, et plus tôt ils commenceront à se passer de moi, mieux cela vaudra.